Tooshi, Traqueuse d'excellence //Finiiiiiiiiii//

Tooshi

Histoire

L'aube, de sa robe pâle nuancée de plusieurs couleurs célestes, secondée par le soleil, se leva. Son doux voile vint se déposer sur les vastes plaines, et faire briller les perles de rosée suspendues aux feuilles d'arbres et buissons, celles-ci attendant les premiers rayons de chaleur pour tomber sur la terre et l'humidifier jusqu'à ce que le soleil les aient fait évaporer et monter à ses côtés lors de son apogée. Cette nouvelle journée qui commençait marquait le début d'une nouvelle vie chez les Udaras.

Un minuscule craquement réveilla Sïna ce matin-là. Sa nuit avait été très mauvaise, et elle ne supportait pas que ses voisines fassent du bruit à cette heure. Ses paupières s'ouvrirent, révélant deux yeux jaunes vifs. Un long soupir sortit de son gosier et elle se dressa lentement sur ses pattes. Ses écailles furent éclairées par les lumières du jour, révélant leur couleur brune et les diverses endroits où il en manquait. La femelle déploya ses ailes déchirées par endroits et les étira, en prenant soin de ne pas éveiller ses congénères. Un deuxième craquement attira son attention, et elle se retourna pour fixer son nid. Une étincelle de joie illumina ses yeux quand une petite queue argentée sortit de la coquille. Elle allait être mère.

Tooshi ouvrit les yeux. Elle se sentait à l'étroit dans cette enveloppe qui l'avait toujours protégée jusqu'alors, elle souhaitait en sortir. Elle donna un coup de queue sur la paroi, puis un autre, mais celle-ci résistait. Elle déplia ses minuscules pattes et redoubla d'ardeur en frappant la coquille. Une fente apparut, puis une autre, et enfin elle se brisa. La queue de Tooshi se glissa dans l'ouverture, et la première chose qu'elle perçut fut une bourrasque d'air matinal caressant ses petites écailles.
Elle continua de gratter la paroi, donnant plusieurs coups successifs. L’œuf se mit à osciller, avant de bouger et de rouler hors du nid. Tooshi ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, elle se contenta donc de continuer à briser l'enveloppe autour d'elle, pour se libérer entièrement. Un obstacle arrêta alors sa course, lui permettant de casser sa coquille entièrement. Elle tomba mollement sur le dos, la terre couvrant ses écailles dorsales, et ses petits yeux ronds se posèrent sur une imposante dragonne qui la regardait tendrement.

Sïna fixait avec amusement et tendresse la petite dragonnette qui se tortillait à ses pattes. Elle n'était pas plus grosse que le bout de sa patte avant, mais toute argentée, ce qui plaisait beaucoup à la femelle brune. Son oeuf avait enfin éclos. Son seul oeuf, et probablement le seul qu'elle aurait de toute son existence. Car à son grand désarroi, sa mort était déjà programmée. Au cours d'une bataille, Sïna avait reçu une blessure de grande ampleur, que le soigneur ne pouvait guérir entièrement. Son cas avait empiré, car une infection s'était annoncée. Et sur cette blessure là, il était impossible de la guérir. Et pourtant, un dragon l'avait prise sous son aile à la fin de son soi-disant "rétablissement" et l'avait tellement chérie qu'il en était tombé amoureux. Nadimir et Sïna avaient été emplis de joie quand la femelle avait annoncé son oeuf. Et aujourd'hui, elle était mère. Nadimir serait heureux d'apprendre la nouvelle, mais elle allait attendre le levé complet du soleil avant d'aller le chercher. Pour ne pas gâcher la vie de son seul petit, Sïna ne dirait rien, et dirait à Nadimir de faire de même.

Tooshi cligna plusieurs fois des yeux pour s'habituer à cette nouvelle lumière. Son regard émeraude se leva pour se poser dans celui de la dragonne, qui devait sûrement être quelqu'un comme... sa mère ? Une totale béatitude s'afficha dans les iris de la petite avant qu'elle ne se dresse sur ses quatre petites pattes, titubante, et n'aille se frotter affectueusement contre la large patte avant gauche de sa mère, pour finir par se percher dessus en lâchant une sorte de piaillement. Elle sentit alors deux yeux gigantesques la fixer, ceux de sa mère sûrement, puis deux autres, et encore d'autres. La petite dragonne, quelque peu effrayée, se recroquevilla contre les écailles de sa mère tandis que des murmures se mirent à fuser de toutes parts.

Un grand et majestueux dragon gris apparut alors face à Sïna et Tooshi, et vint de frotter à la grande femelle brune. Il fixa ensuite la dragonnette perchée sur la patte avant de sa mère avant de dire d'un ton doux:

              "- C'est une femelle aussi belle que sa mère."

Sïna répondit en un murmure, souriante:

              "- Et aussi grande et forte que son père. Nous la baptiserons Tooshi."

Les dragons présents vinrent féliciter les nouveaux parents, fiers d'avoir une nouvelle recrue chez les Udaras, fixés par deux petits yeux émeraudes curieux. Une dragonne regarda la petite, avant de sursauter. Les autres la regardèrent avec étonnement, et celle-ci bégaya, en regardant Tooshi avec des yeux écarquillés:

              "- Mais... Elle est borgne !"

Les dragons fixèrent Tooshi avant d'approuver, et des murmures incertains parcoururent le camp. Nadimir regarda Sïna avec tristesse avant se s'éclipser discrètement. Sïna, elle, n'était pas triste. Ni même apeurée. Ce n'était pas parce que Tooshi était née avec un oeil aveugle qu'elle serait condamnée. Au contraire. Sa différence serait sa plus grande force.

100 ans plus tard...

Le soleil est au plus haut dans le ciel parsemée de nuages blancs et cotonneux. Les Udaras sont rassemblés autour de leur chef, pour célébrer un évènement particulier. Un baptême, celui de Tooshi. La femelle dragonne avait aujourd'hui cent ans, âge requis pour devenir apprenti. Cents années déjà... Cela avait passé très vite aux yeux de ses parents, qui la regardaient fièrement. La jeune dragonne était dressée au centre du rassemblement, bien droite, regardant le chef de son oeil valide. Elle avait choisi la voie de d'apprentie traqueuse, et elle le serait. Elle préférait la chasse au combat, même si celui-ci lui serait tout de même enseigné. A la fin de son apprentissage, elle serait la plus grande traqueuse. LA Traqueuse par excellence.

La cérémonie achevée, la nouvelle apprentie salua ses camarades en un signe du menton avant de se poster devant ses parents. Ils étaient fiers d'elle. Un sourire étira son museau de jeune dragonne. Jamais elle n'aurait pu espérer avoir de meilleurs parents qu'eux. Depuis sa naissance, ils étaient à ses côtés. Et cela était, pour la femelle, un bonheur qui ne se terminerait jamais.

La nuit arriva bien vite, couvrant tout le territoire. L'astre nocturne brillait de tous ses attraits, ainsi que les étoiles, chacune éclairant son espace à sa façon. Tooshi ne dormait pas encore. Dos au sol, elle avait la tête levée vers le ciel étoilé. Elle aimait contempler les étoiles, car pour elle, c'était un peu comme son clan. Elle occupait une nouvelle place dont elle remplirait la fonction à sa façon, comme elle l'avait toujours fait.

Le premier jour d'apprentissage ne se passa pas du tout comme elle l'avait espéré. Elle se sentait perdue, faible par rapport aux autres déjà entrainés, mais surtout, affreusement inutile. Ce n'est par pour autant qu'elle se démonta. L'entrainement était rude, mais elle tint bon, ne flancha pas. Les autres trouvèrent son endurance étonnante, mais elle ne s'en préoccupa pas. Toutes ses pensées étaient tournées vers l'entrainement. Mais malgré sa volonté et sa détermination, elle finit vite par s'écrouler, épuisée. Son entraineur eut vite fait de la remettre sur patte en un coup de patte plutôt violent, la toisant avec mépris. Tooshi était couverte d’hématomes, et n'avait envie que d'une chose: La fin de la journée et son nid douillet.

Le retour au camp fut bien long aux yeux de Tooshi, dont les ailes qu'elle n'utilisait pas encore tombait sur le sol herbeux, creusant de petits sillons entre les herbes. Sa gorge était sèche, elle avait soif. Elle ne pourrait boire qu'une fois arrivée au camp. Elle imaginait les gouttes du liquide pur couler dans son gosier, la rafraichissant et la remettant entièrement sur pattes. Mais le spectacle qui allait s'ouvrir à ses yeux lui ferait oublier toute envie de se reposer.

Dès qu'elle franchit la barrière du camp, Tooshi sentit que quelque chose n'allait pas. Une agitation inhabituelle régnait au sein du clan, si calme d'ordinaire. Un groupe de dragons étaient rassemblés autour non loin d'elle, autour d'une chose que la jeune femelle ne voyait pas. Elle se fraya tant bien que mal un passage entre ses ainés et finit son chemin devant une sorte de cadavre. Une proie. Une odeur de putréfaction flottait autour, comme si l'animal mort était malade avant son deuil. Un grincement monta de la gorge d'un des vétérans:

              "- Ils sont revenus...

Les anciens se mirent à converser avec les vétérans, rejoins par le chef, tournant le dos à Tooshi. L'esprit de l'apprentie était rempli de questions. Qui étaient ces êtres revenus ? De quoi parlaient ses ainés ? Elle s'apprêta à aller leur demander quand une patte brune la retint. Elle se retourna vivement, et vit que cela n'était autre que sa mère. Son regard inquiet fixait la femelle, et elle la ramena près d'elle sans au passage se prendre une avalanche de reproches:

              "- Mais enfin, mère, je veux juste aller leur demander !
               - Il n'en est pas question, Tooshi. rétorqua Sïna avec un ton dur que Tooshi ne lui connaissait pas.
              "- Mais... mère...
               - Il n'y a pas de "mais" qui tienne. Tu restes ici, un point c'est tout."
               
Tooshi fusilla Sïna du regard et s'assit sur le sol, balayant l'herbe rase de sa queue avec colère. Elle grinça alors, ses pupilles réduites à deux fentes:

              "- Je veux savoir qui sont les êtres dont les anciens parlent."

Sïna ne résista pas longtemps au regard perçant de sa fille unique. Elle soupira avant de lui murmurer au creux de l'oreille, pour que les autres apprentis ne viennent pas jouer les curieux:

              "- Ce sont de vieux exilés du clan."

La dragonne aux écailles grises écarquilla son oeil valide d'étonnement. Elle avait entendu parler des exilés, mais elle ne les voyait pas provoquer leur clan ainsi, en tuant leur gibier et le laissant pourrir. Étrange....

              "- Sont-ils une menace pour nous ou les autres clans ?
               - Nous n'en savons rien, ma fille. Une patrouille dirigée par ton père va être envoyée enquêter sur le lieu de découverte de la dépouille de cette proie.
               - Je veux aller avec père et la patrouille !
               - Non, Tooshi, cela peut s'avérer dangereux, et de plus, tu n'as aucune expérience au combat et en traque. Ton père sera là pour toi demain matin, je te le promets."

Sïna ne laissa pas à sa protégée le temps de répondre. Elle se leva et s'éloigna pour rejoindre son amant. Tooshi resta plantée là, seule, en proie à la colère et à l'inquiétude. Si elle ne participait à aucune bataille, elle ne pourrait jamais avoir d'expérience, c'était certains. Mais en même temps, sa mère avait raison... Elle ne connaissait aucun mouvement rudimentaire pour se défendre ou même esquiver. Elle venait à peine de devenir apprentie. Tête basse, la femelle se choisit un morceau de viande bien fourni avant d'aller se blottir dans son nid, queue enroulée autour de son corps, pattes repliées. Si son père partait ce soir, il serait forcément de retour à l'aube, comme Sïna le lui avait promis. C'était une évidence.

Tooshi se réveilla tard le lendemain, à son grand bonheur. A cette heure-ci, son père était sûrement revenu de patrouille, et comme chaque jour, en train de discuter de son apprentissage avec d'autres dragons du clan. Elle se leva, raide comme un tronc d'arbre, et prit soin d'étirer ses pattes et ses ailes, comme le lui avait appris sa mère. Toute excitée, elle sortit de la tanière avant de se stopper net, et de fixer les alentours pour repérer la haute carrure de son paternel. En vain. Elle avait beau regarder à droite et à gauche, elle n'arrivait pas à voir sa haute silhouette. Ceux de sa patrouille étaient là, pourtant. Sa mère était absente également. Tooshi fit quelques pas vers les membres de la patrouille de la veille avant de se retrouver museau à museau avec le soigneur, ou chef, de son clan. Celui-ci la fixa d'un air désolé avant de murmurer:

              "- Je suis désolé, Tooshi..."

L'apprentie le regarda avec étonnement de son oeil valide, avant de demander d'un ton curieux:

              "- Mais... désolé de quoi ?
               - On ne t'a pas mise au courant ???
               - Au courant de quoi ?"

Le chef soigneur toussota avant de répondre d'un ton morne:

              "- Ton père ne reviendra pas, Tooshi.
               - Comment ça ???"

L'autre ne lui répondit pas. Seul subsistaient en son regard d'ordinaire sage un voile de tristesse profonde et des pensées désolées. Tooshi était paralysée, elle avait du mal à ignorer la douleur qui montait en elle. Elle ne reverrait plus jamais son père ? Non, un guerrier fort comme lui ne pouvait être mort dans une patrouille pareille. C'était impossible. Pas lui. Pas maintenant qu'elle était apprentie. Pas sans lui avoir appris à voler ou à cracher des flammes. Il ne pouvait être parti sans lui avoir dit au revoir, ou l'avoir câlinée... Des larmes salées roulèrent sur les joues de la jeune dragonne, son coeur se déchira. Les sous-entendus n'étaient que trop clairs, même pour une dragonne apprentie comme elle. Aussi grand qu'il était, Nadimir était mort.

Tout se bousculait à l'intérieur de la tête de Tooshi. La douleur en elle était cinglante, et la dragonne tomba assise sur le sol sans même s'en rendre compte. Ses yeux étaient immobiles en une expression de tristesse et de peur. La peur du futur sans un être proche.

Dans le siècle qui suivit...

Même si cela faisait longtemps que le père de Tooshi avait trouvé la mort, la femelle revoyait cela comme si c'était hier. Elle était dissipée aux entrainements, ne parvenait plus à se concentrer au mieux pour tuer des proies, mangeait peu et ne parlait presque pas. Dans ses conditions, elle ne pouvait progresser. D'ailleurs, à ce stade d'apprentissage, tout les traqueurs savaient déjà voler depuis longtemps. Mais pas elle. Son oeil, d'ordinaire si joyeux, était voilé, et il était impossible de deviner ce à quoi elle pensait, à part la tristesse. Et même son mentor ne parvenait pas à la ramener aux entrainements. Sauf, bien sûr, le jour où la jeune dragonne allait apprendre à voler.
 
              "- Demain, tu apprendras à voler, Tooshi."

Une lueur se dessina dans l'iris de l'apprentie traqueuse, qui releva sa tête vers son mentor. Un mince sourire vint étirer son museau, lui redonnant l'air joyeux qu'elle avait avant la mort de son père. Son ainé lui sourit également, heureux de la voir reprendre goût à la vie.

Ce soir-là, Tooshi était allée dormir tôt, pour se préserver pour sa leçon de vol, le lendemain. Néanmoins, le sommeil ne la gagna pas tout de suite. Son regard fixait les étoiles lumineuse, là. Son père était peut-être en train de la regarder depuis les cieux, qui sait ? A l'intérieur d'elle, ses blessures se refermaient doucement. Demain, père, j'apprendrais à voler.

              "- Redresse toi, Tooshi, redresse toi !"

La femelle volait dans les airs, aux côtés de son mentor, les bourrasques de vent lui fouettant le visage la faisant jubiler. Elle n'arrêtait pas de monter et de descendre, de faire diverses acrobaties. Le vétéran était étonné, on aurait dit que cela était au moins le cinquième vol que son apprentie effectuait. Il était obligé de la critiquer sur son vol, même si au fond, il n'y avait rien à redire. Tooshi pourrait être une traqueuse très prometteuse avec un tel potentiel dans les airs, ainsi que son imprévisibilité.

Les espoirs de l'ainé étaient fondés. Dans les années qui suivirent, il ne cessa d'observer la dragonne, qui excellait dans la chasse aérienne. Elle avait largement rattrapé son énorme retard. De plus, elle avait repris goût à la vie, ce qui augmentait son potentiel. Rusée et bonne stratège, Tooshi réalisait des exploits, que le vétéran ne manquait pas de rapporter au chef. Encore quelques années de perfectionnement, et la dragonne pourrait devenir traqueuse. Sïna était fière de sa fille. Nadimir, de là où il était, l'était sûrement aussi. Mais un nouveau bouleversement allait changer la vie de Tooshi.

Sïna s'éveilla, les yeux rougis. Elle avait extrêmement mal à ses ailes, ses écailles la brûlaient. Un soupir s'échappa de sa gueule en un panache de fumée cendrée, entre deux inspirations irrégulières. Le temps était donc venu. Trainant la patte, toussant bruyamment, la dragonne se dirigea vers la tanière du chef, aussi soigneur. Quand celui-ci s'éveilla et la vit, il compris ce qui l'amenait là. Néanmoins, cela lui faisait mal au coeur, car Tooshi n'avait repris goût à la vie que depuis quelques années. Mais on ne pouvait changer le cours de la vie. Le dragon invita la mère de l'apprentie bientôt guerrière à se coucher sur un nid, et lui administra seulement ce qu'il lui fallait pour dormir. Il ne pouvait rien faire de plus, à part contempler la plaie infectée rouverte et sale de sa patiente. Cette blessure qu'il n'avait pu soigner allait causer la mort de Sïna. Mais celle-ci semblait bien le prendre, à son grand étonnement.

Le chef reprit sa dignité et se dirigea vers la tanière des apprentis. Il bougea la tête de Tooshi de sa large patte avant. La femelle ouvrit les yeux, avant de le fixer d'un air étonné. Il lâcha simplement:

              "- Suis moi."

La dragonne obéit sans protester, et suivit son chef là où celui ci voulait la mener. Au chevet de sa mère, dans l'espace réservée aux malades, non loin de son antre. Tooshi frotta son museau contre la tête de sa mère avec affection avant de demander, inquiète:

              "- Que t'arrive-t-il, mère ? Pourquoi es-tu là ?"

Sïna souffla bruyamment, faisant couler quelques gouttes de sang le long de ses lèvres, avant de murmurer d'un ton rauque:

              "- Ma petite Tooshi... l'heure est venue pour moi de rejoindre Nadimir...
               - Mère, non !
               - Désolé, ma fille... mais la mort m'aura emportée avant les premiers rayons de soleil..."

Tooshi observa sa mère, et décela des relents de maladie et d'infection, ainsi que l'odeur redoutée, celle de la mort proche.

              "- Depuis quand es-tu malade ainsi ?
               - Depuis bien avant ta naissance... Je ne te l'ai jamais dis car... je ne voulais pas gâcher mes instants... avec l'unique fille que j'allais avoir, mon unique petit."

L'apprentie traqueuse fixa sa mère, les yeux brillants. Elle aurait tellement aimé le savoir, pour pouvoir encore plus profiter de ses instants de dragonnette avec sa mère, mais ce n'était pas le moment de repenser au passé.

               - Je n'ai... qu'une seule chose à te dire... Même si ta douleur sera grande, ne tourne jamais le dos à ton avenir en t'enfermant sur ton passé... Sinon... cela t'anéantira...
               - J'y veillerais, mère, je te le promets.

Tooshi fixait la dragonne avec tendresse, les yeux emplis de larmes. Elle ne devait pas se laisser abattre, jamais. Elle respecterait la dernière volonté de sa mère. Les flans de Sïna se soulevèrent de plus en plus faiblement, jusqu'à ce qu'un soupir, le dernier, sorte de sa gueule entrouverte. Tooshi se frotta une dernière fois au corps de sa mère morte, avant de se reculer, pour retourner dormir dans son nid, avec les autres apprentis. Demain serait un autre jour. Désormais, Tooshi ne devrait compter que sur elle-même, car ses parents n'étaient plus présents pour veiller sur elle.

Le jour des deux-cent-vingt ans de Tooshi...

C'était aujourd'hui. Elle allait être traqueuse, poste qu'elle voulait depuis le début de son apprentissage qui prenait fin aujourd'hui. Son entrainement et ses douleurs allaient payer. Le baptême fut un grand poids ôté de la poitrine de Tooshi. Cela y était. Elle faisait désormais partie des traqueurs du clan des Udaras. Ses étranges mais excellentes capacités de chasse et sa ruse allaient vite faire monter l'estime de ses nouveaux partenaires. Assise bien droite au coeur du camp, Tooshi fixait le ciel azur, autant de son oeil émeraude que de son oeil blanc. Elle sourit. Père, mère, j'ai réussi. Aujourd'hui, je suis devenue la traqueuse par excellence, comme je vous l'avais promis.

Tooshi vivrait sa vie. Calme, sans se renfermer sur elle-même. Du moins, face aux autres. Car bien sûr, intérieurement, son coeur serait à jamais déchiré sans qu'on puisse y faire quoique se soit.